Discrimination et éducation

Working Paper 8,  & newsletter n°37
OIDEL, desembre 2004



Présentation

Ce working paper présente deux textes visant à faire connaître la Convention de l'UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement (CLDE).
 
e premier texte se centre sur la notion de discrimination : il rend compte des enjeux et de l'élaboration complexe d'une définition juridiquement pertinente pour cette notion et présente un petit historique sur les origines et l'importance de la CLDE.

Le deuxième texte constitue une analyse de l'article 2 de la CLDE. Cet article concerne les systèmes d'enseignement séparé pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique. Cette situation revêt une importance particulière actuellement en raison de la sensibilité internationale face aux problèmes des minorités dans le monde.


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La notion de discrimination et sa portée dans la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement de l'UNESCO

La Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement(CLDE) adoptée par l'UNESCO en 1960 est l'un des plus anciens instruments normatifs de protection des droits de l'homme. Elle demeure, malgré son ancienneté, peu connue, alors qu'elle est, à multiples égards, innovatrice. Son objectif était de s'attaquer à l'un de problèmes majeurs de la communauté internationale dans les années soixante : la discrimination. La Convention vise, d'une part, à «proscrire toute discrimination en matière d'enseignement et d'autres part [à] promouvoir l'égalité des chances et de traitements pour toute personne dans ce domaine aussi. Il est clair que si les deux objectifs sont atteints, la jouissance du droit à l'éducation est assurée » (Daudet & Singh, 2001, p.16).

Cette double action, répressive et de promotion, apparaît comme essentielle dans la Convention. On s'aperçoit d'ores et déjà, dans le commentaire des objectifs de la CLDE elle-même, qu'une action négative de l'Etat (proscrire) se révèle insuffisante pour lutter contre la discrimination, puisqu'il est nécessaire de promouvoir l'égalité des chances.
 
La CLDE est aussi, et cela mérite d'être mis en exergue, le premier instrument international majeur de l'UNESCO ayant force contraignante en droit international. Elle a été adoptée à Paris par la onzième session de l'Unesco le 14 décembre 1960 et est entrée en vigueur le 22 mai 1962. A l'heure actuelle (2004), 90 Etats l'ont ratifiée.

L'autre instrument de l'Unesco ayant force contraignante en matière d'éducation, la Convention sur l'enseignement technique et professionnel, s'appuie sur elle. L'importance de la CLDE a été récemment reconnue par l'Observation générale n°13 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur l'article 13 du Pacte des droits économiques sociaux et culturels relatif au droit à l'éducation. Les résolutions adoptées par la Commission des droits de l'homme s'y réfèrent souvent. Enfin, elle est un pilier dans le contexte du processus de l'Education pour tous (EPT), domaine prioritaire de l'Unesco.
 
Toutefois, ce qui confère à la CLDE une signification particulière est qu'elle s'attèle à la tâche difficile de donner une définition générale de la discrimination, alors qu'aucune aucune définition proprement dite de la «discrimination» ne figure dans la Déclaration universelle ou dans les deux Pactes internationaux  [1].  Dans ce texte nous essaierons de clarifier et à approfondir ce qu'il faut entendre par « discrimination » dans le sens de la Convention, car il s'agit d'une notion clef du texte et d'une importance fondamentale pour le droits de la personne humaine.

Avant d'examiner le contenu de ce texte il est important de rappeler succinctement son processus d'élaboration qui a duré près de six années.

L'étude des mesures discriminatoires dans le domaine de l'enseignement a été abordée en premier lieu par la Sous-Commission de la lutte contre la discrimination et de la protection des minorités, qui désigna en 1954 un Rapporteur spécial, M. Charles Ammoun (Liban), chargé d'établir et de lui soumettre un rapport détaillé à ce sujet.

En 1957, la Sous-Commission reprend ce rapport avec quelques modifications (cf. E-CN.4/Sub.2-181 Rev.1 ; UNESCO/ED/167, p. 2, art. 5) et intègre les principes fondamentaux du rapport sous une forme révisée dans la Résolution C. Cette résolution demande à la Commission des droits de l'homme de prier le conseil économique et social de faire distribuer largement l'étude de M. Ammoun, rapporteur spécial, et de demander à l'UNESCO de préparer un résumé à l'intention du grand public qui soit utilisé dans les universités, les écoles et d'autres établissements d'enseignement (cf. UNESCO/ED/167, p. 2, art. 5 ; cf. Résolution C adoptée par la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, lors de sa 9e session, 18 février-8 mars 1957 (10C/23), point 2).

Suite à ce rapport de la Sous-Commission et au rapport du Directeur général de l'UNESCO sur la discrimination (10C/23 et Add.), la Conférence générale des Nations Unies en sa dixième session par la résolution 1.34 « décide que l'UNESCO se chargera d'élaborer des recommandations aux Etats membres et des projets de recommandations et un projet de convention internationale concernant les différents aspects de la discrimination dans le domaine de l'enseignement [...]. » (10 C/Résolutions 1.34 cité dans le rapport préliminaire de l'UNESCO (UNESCO/ED/167), p. 1). La résolution de la Conférence générale dépasse donc la demande formulée par la Sous-Commission dans la résolution C, puisqu'il ne s'agit pas seulement de préparer un résumé, mais de rédiger une convention, c'est-à-dire un instrument normatif contraignant.

Le 2 juin 1959, un rapport préliminaire (UNESCO/ED/167), rédigé par les experts de l'UNESCO, a été adressé aux Etats membres, qui ont été invités à répondre au questionnaire figurant dans ce rapport. Ce rapport préliminaire se fonde essentiellement sur la Résolution C de la Sous-Commission, avec les commentaires formulés par certains gouvernements et le Conseil exécutif de l'UNESCO.

« A la date du 15 mars 1960, les gouvernements de trente-huit pays ont communiqué au directeur général [de l'UNESCO] des observations dont vingt-six contiennent des observations de fond. Seize organisations internationales ont également présenté des commentaires ». A partir de ces observations, l'UNESCO publie le Rapport préliminaire en date du 15 avril 1960 (UNESCO/ED/167 - Add.1). Ce document constitue la source principale pour notre commentaire de la notion de la discrimination selon la CLDE. Ce document, ainsi que le rapport préliminaire (UNESCO/ED/167), est ensuite examiné par le Comité spécial d'experts juridiques et techniques nommés par les Etats membres. Il se réunit à Paris du 15 au 29 juin 1960 pour mettre au point le texte définitif.


La notion de discrimination

Pour comprendre la notion de discrimination telle qu'elle apparaît dans la CLDE, il convient d'étudier les travaux préparatoires. Le rapport préliminaire déjà cité (UNESCO/ED/167) mérite une particulière attention dans ce sens. Son titre complet est Rapport préliminaire établi conformément aux dispositions de l'article 10.1 du règlement relatif aux recommandations aux états membres et aux conventions internationales prévues par l'article IV, paragraphe 4, de l'acte constitutif.

Afin de donner une définition de la discrimination, les experts ont commencé par se demander si la discrimination se fonde sur l'intention ou sur les effets. Ils concluent qu'elle englobe l'un et l'autre, dépassant ainsi la définition que l'Organisation Internationale du Travail (OIT) avait formulée concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession. La définition de l'OIT qui figure dans la Convention concernant la discrimination de 1958 ne considérait que les effets  [2].

Les experts se sont penchés également sur la délimitation des possibles groupes victimes de discrimination, en se fondant sur une liste proposée par la Sous-Commission de la lutte contra la discrimination et de la protection des minorités (aujourd'hui Sous-Commission de promotion et de protection des droits de l'homme) et reprise à l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme [3]. Ils proposent cependant de compléter cette liste en y incluant les cas de discriminations résultants de la condition économique. Il en résulte une définition détaillée et plus complète que les précédentes  présentée à l'article premier:

« 1. Aux fins de la présente Convention, le terme « discrimination » comprend toute distinction, exclusion, limitation ou préférence qui, fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou tout autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la condition économique ou la naissance, a pour objet ou pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de traitement en matière d'enseignement. »


Discrimination versus différentiation

Peut être plus que dans autre domaine, l'éducation exige une définition nuancée de la discrimination. En effet, il est habituel d'assimiler la séparation à la discrimination. Le régime de l'apartheid en était un claire exemple. Mais en éducation les différences ont joué toujours un rôle fondamental. Pour cela il n'est pas possible de considérer toute séparation entre élèves comme discriminatoire, l'éducation doit s'adapter aux différences si elle veut respecter la personne. On pourrait affirmer que face à l'éducation, nous sommes tous égaux (en droit) mais aussi tous différents (en ce qui concerne nos besoins et nos caractéristiques).

De manière plus générale, il convient de souligner que la reconnaissance de l'universalité des droits de l'homme doit aller de pair avec la reconnaissance du droit à la différence. En effet, une fois admis que tous les hommes ont les mêmes droits, au moment de se demander ce que cela signifie pour une personne particulière, on sera obligé de reconnaître que ses droits s'appliquent de manière différente selon la spécificité de chacun.

C'est ainsi que Charles Taylor parle de la politique de l'égalité et de la politique de la différence et exprime bien l'interdépendance entre les deux :

[La politique de la différence] demande en effet que l'on accorde une reconnaissance et un statut à quelque chose qui n'est pas universellement partagé. Autrement dit, nous n'accordons de reconnaissance légitime qu'à ce qui est universellement présent – chacun a une identité - et ce, par la reconnaissance de ce qui est particulier à chacun. L'exigence universelle promeut la reconnaissance de la spécificité. (Ch. Taylor,1994, p. 53).

Une brève réflexion suffit à nous convaincre que tous les droits de la personne participent de ce double mouvement d'universalisation et d'adaptation. Pour prendre un exemple évident, le droit à l'alimentation doit tenir compte de l'âge de celui qui doit s'alimenter. Même le droit à la vie se traduit dans la pratique par des mesures fort différentes qu'il s'agisse d'une jeune personne en pleine santé ou d'une personne âgée, dépendante de nombreux soins et médicaments. De même, dans le domaine des droits culturels, le non-respect de la différence, pourrait, dans des cas extrêmes, équivaloir à la négation pure et simple de ce droit : en effet, ce ne serait pas respecter le droit à la culture que de ne donner accès qu'à une culture « standard », que l'on forcerait tous les habitants d'une région à assimiler au mépris de celle de leur famille.

En ce qui concerne le droit à l'éducation, le rapport préliminaire de la Convention souligne que certaines distinctions sont non seulement légitimes, mais aussi nécessaires, à tel point que dans certains cas, c'est paradoxalement le manque de distinctions qui constitue une situation discriminatoire due au non respect de la différence.


La différentiation en matière d'éducation

On se demande parfois si l'égalité d'accès à l'éducation implique une éducation identique pour tous. Les éducateurs reconnaissent que certaines différences dans l'éducation dispensée aux enfants ne constituent pas des mesures discriminatoires. De façon générale, les différences d'enseignement sont considérées comme admissibles si elles constituent des adaptations à des différences d'aptitudes entre les élèves, ou aux nécessités de la formation professionnelle ou technique, ou encore à certaines situations ou à certains besoins individuels, par exemple aux handicaps physiques. Certains éducateurs affirment même que, lorsque l'enseignement n'est pas adapté aux aptitudes des enfants et ne tient pas compte des buts visés ni de certains besoins particuliers, il aboutit à une sorte de discrimination à l'encontre des élèves qui s'écartent de la moyenne. » (Unesco/ED/167, art. 34.)

En voulant éviter la séparation/ségrégation on peut donc aussi pécher par excès et tomber dans l'autre extrême. Dans ce sens, le droit à l'éducation devrait être envisagé comme un juste milieu ou un chemin de crête entre la tentation de tout vouloir uniformiser et la séparation à outrance.

D'un point de vue juridique, Marc Bossuyt, expert de la Sous-Commission de promotion et de la protection des droits de l'homme a mené récemment une analyse de concept de discrimination qui permet de disposer d'une terminologie plus claire à ce propos :

« Le concept de non-discrimination a été précisé plus avant dans un certain nombre d'études effectuées par des rapporteurs spéciaux de la Sous-Commission [4]. La doctrine juridique moderne retient les principes suivants :

a) Il est aujourd'hui universellement admis que le terme
«discrimination» doit être réservé à des différences de traitement arbitraires et illégales. «Distinction», en revanche, est un terme neutre utilisé dans le cas d'une différence de traitement dont le bien-fondé reste à déterminer. Différenciation», au contraire, s'emploie lorsqu'une telle différence a été réputée légale. »
(Bossuyt, 2002, par. 91)


Une égalité qualitative, critère essentiel du droit à l'éducation

Face à cette situation certes, délicate, il est essentiel de disposer d'un critère permettant de déterminer quelles sont les « bonnes » et les « mauvaises » distinctions dans l'éducation si l'on peut s'exprimer ainsi. La notion d' « égalité qualitative », développée par le Rapport préliminaire mentionné précédemment, semble convenir comme critère, d'autant plus que les experts proposent quelques points de repère pour la mesurer :

« Bien que la qualité de l'enseignement donné aux élèves ne soit pas, d'un certain point de vue susceptible de mesure ni de comparaison, et qu'elle dépende jusqu'à un certain point, de la valeur de chaque maître, certains critères pourraient cependant aider à déterminer si l'enseignement donné est d'un niveau inférieur. Dans le cas d'écoles distinctes pour les filles et pour les garçons, ou pour les élèves de races différentes, les termes de comparaison pourraient être les suivants :
- dépense par élève ,
- bâtiments : surface par élève, état, équipement ;
- manuels, auxiliaires de l'enseignement, fournitures, etc. : quantité,
qualité, taux de renouvellement ;
- maîtres : nombre d'élèves par maître, titres professionnels ;
- programmes : la différentiation répond-elle à des différences individuelles d'aptitudes, ou au contraire à des prétendues différences d'aptitudes entre certaines catégories d'élèves (race, sexe), ou encore à une politique de discrimination sociale ? «(Unesco/ED/167, art. 40)

On remarquera que cette notion « d'égalité qualitative » n'implique pas une égalité de contenu. Elle suppose plutôt que l'on adapte le contenu au besoin de l'apprenant, l'égalité portant alors sur l'investissement pour chaque élève qui devrait être indépendant du sexe, de la race, de la religion, etc. Ainsi reste ouverte la possibilité de séparer les élèves pour des motifs d'ordre divers, tant que cette séparation ne remet pas en cause l'égalité qualitative ou « l'égalité de traitement en matière d'enseignement », selon la formule de l'article 1er. C'est ainsi que la Convention fait état dès l'article de 2 trois cas qui ne sont pas forcément à considérer comme des discriminations :

a. les systèmes d'enseignement séparé pour les élèves des deux sexes;
b. les systèmes d'enseignement séparé, pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique ;
c. les établissements d'enseignement privé.

Dans le texte qui suit il sera fait un examen détaillé des systèmes d'enseignement séparé, pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique.

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Références bibliographiques



Bossuyt, M. (2002) Rapport à la Sous-Commission des droits de l'homme sur l'action affirmative, E/CN.4/Sub.2/2002/21.

Daudet, Y. & Singh, K. (2001) Politiques et stratégies d'éducation 2, Le droit à l'éducation : analyse des instruments normatifs de l'Unesco, Paris : Unesco.

Diaconu, I. (1999). Background paper prepared by Mr. Ion Diaconu, member of the Committee on the Elimination of Racial  discrimination,in accordance with paragraph 51 of Commission resolution 1998/26, E/CN.4/1999/WG.1/BP.10.

MacKean W. (1983), Equality and Discrimination under International Law, Oxford : Clarendon Press.

Taylor, C. (1994) Multiculturalisme, différence et démocratie. Paris : Flammarion, p. 58 (Titre original : Multiculturalism and « the Politics of Recognition », Princeton University Press, 1992)

Unesco (29 mai 1959) Rapport préliminaire établi conformément aux dispositions de l'article 10.1 du règlement relatif aux recommandations aux états membres et aux conventions internationales prévues par l'article IV, paragraphe 4, de l'acte constitutif. Unesco/ED/167.

Vijapur A. P. (1993) «The principle of non-discrimination in international human rights law : the meaning and the scope of the concept», India Quarterly, a Journal of International Affairs.

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Les systèmes d'enseignement séparé pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique


La deuxième situation évoquée par l'article 2 de la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement (CLDE) concerne les systèmes d'enseignement séparé pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique. Cet situation revêt une importance particulière actuellement en raison de la sensibilité internationale face aux problèmes des minorités dans le monde. Rappelons que c'est seulement en 1992 que la communauté internationale s'est dotée d'un instrument spécifique de protection des minorités, la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques.

En 1960, on était encore bien loin de concevoir la problématique des minorités dans les termes actuels. Néanmoins la CLDE apporte des éléments d'intérêt à un domaine comme l'éducation particulièrement important pour les minorités.

Voici, pour mémoire, la teneur de l'article 2 :
“Lorsqu'elles sont admises par l'Etat, les situations suivantes ne sont pas considérées comme constituant des discriminations au sens de l'article premier de la présente Convention:
[...]
b) La création ou le maintien, pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique, de systèmes ou d'établissements séparés dispensant un enseignement qui correspond au choix des parents ou tuteurs légaux des élèves, si l'adhésion à ces systèmes ou la fréquentation de ces établissements demeure facultative et si l'enseignement dispensé est conforme aux normes qui peuvent avoir été prescrites ou approuvées par les autorités compétentes, en particulier pour l'enseignement du même degré;

Ce paragraphe est complété par l'article 5 :

1. Les Etats parties à la présente Convention conviennent:

a) Que l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix;

b) Qu'il importe de respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux: 1 de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par les autorités compétentes; et 2 de faire assurer, selon les modalités d'application propres à la législation de chaque Etat, l'éducation religieuse et morale des enfants conformément à leurs propres convictions; qu'en outre, aucune personne ni aucun groupe ne devraient être contraints de recevoir une instruction religieuse incompatible avec leurs convictions;

c) Qu'il importe de reconnaître aux membres des minorités nationales le droit d'exercer des activités éducatives qui leur soient propres, y compris la gestion d'écoles et, selon la politique de chaque Etat en matière d'éducation, l'emploi ou l'enseignement de leur propre langue, à condition toutefois:

i) Que ce droit ne soit pas exercé d'une manière qui empêche les membres des minorités de comprendre la culture et la langue de l'ensemble de la collectivité et de prendre part à ses activités, ou qui compromette la souveraineté nationale;

ii) Que le niveau de l'enseignement dans ces écoles ne soit pas inférieur au niveau général prescrit ou approuvé par les autorités compétentes; et

iii) Que la fréquentation de ces écoles soit facultative.

2. Les Etats parties à la présente Convention s'engagent à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l'application des principes énoncés au paragraphe 1 du présent article.



1. Analyse du texte

Faute de temps, nous n'allons pas commenter tout le texte, par ailleurs très riche, de ces articles. Nous nous limiterons donc aux thématiques suivantes qui nous paraissent de particulière importance :
- (1) l'existence des écoles séparées pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique ;
- (2) les droits des parents au choix de l'établissement ;
- (3) le sens de l'expression « lorsqu'elles sont admises par l'Etat », par laquelle commence l'article 2.

1.1. L'existence des écoles séparées pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique

L'examen des travaux préparatoires à la CLDE montre bien que les Etats étaient préoccupés par les problèmes que pourraient poser l'existence de ces écoles pour la cohésion nationale. Ainsi, dans la réponse à la question XIV 2) du questionnaire adressée aux Etats, est-il dit :

Estimez-vous que les instruments envisagés devraient comprendre des dispositions concernant la création par les pouvoirs publics d'écoles répondant aux besoins spéciaux de groupes linguistiques minoritaires, ou des dispositions concernant soit l'emploi des langues minoritaires comme véhicule de l'enseignement, soit l'enseignement des langues minoritaires?


Réponses des Etats membres

         Les opinions diffèrent quant à l'utilité d'une disposition concernant la création par les pouvoirs publics d'écoles répondant aux besoins de groupes linguistiques minoritaires, ou de dispositions concernant l'emploi des langues minoritaires dans les écoles ou leur enseignement. Treize pays (Cambodge, Ceylan, Finlande, Inde, Israël, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, République fédérale d'Allemagne, Roumanie, Suède, URSS) se prononcent pour de telles dispositions ; six pays (Chine, Danemark, Etats-Unis d'Amérique, Iran, République arabe unie et Royaume-Uni) y sont hostiles, certains les considérant comme inutiles ou craignant qu'elles servent de prétexte pour justifier des inégalités de traitement entre des groupes différents.

(ibid. p. 18)

Au bout de 40 ans, force est de reconnaître que les problèmes demeurent entiers. Cependant, le droit international des droits de l'homme a beaucoup évolué et cela dans un sens bien précis : celui de concevoir les diversités et les minorités comme une richesse et non seulement comme une source de conflit. On trouvera dans la Déclaration sur la diversité culturelle, adoptée par la Conférence générale de l'UNESCO en 2001, la meilleure preuve de cette reconnaissance du droit des minorités.


1.2. Les droits des parents aux choix de l'établissement

L'alinéa b de l'article 2 montre un autre aspect important de cette question. Il s'agit des droits des parents aux choix de l'établissement. En fait, il paraît que la création ou maintien des centres séparés pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique est motivée en premier lieu par le choix des parents.

En ce qui concerne le droit des parents de choisir des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, il est intéressant de rapprocher les paragraphes 2. b) et 5. b) de la CLDE de l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.

3. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.

Les droits des parents ont été introduits dans la Déclaration universelle pour éviter une mainmise de l'Etat sur l'éducation comme celle des états totalitaires. Les travaux préparatoires de l'article 26 mentionnent que ce paragraphe a été introduit par Ch. Malik (Liban) pour   « empêcher le renouvellement de situations dans lesquelles il était possible à des dictateurs d'interdire aux parents d'instruire leurs enfants comme ils l'entendaient  [5]». D'autres interventions en faveur de la proposition de Ch. Malik révèlent que de nombreuses délégations pensaient ainsi limiter le pouvoir de l'Etat. Beaucoup avaient encore en tête ce qui s'était passé sous lerégime nazi :

- la représentante du Pakistan jugeait qu'il était « essentiel de garantir le libre choix de l'instruction, principe que les nazis [avaient] violé de façon flagrante ; »   [6]

- de même les Pays-Bas firent remarquer que « l'Allemagne nazie, où les Jeunesses hitlériennes privaient les parents d'autorité sur les enfants, a fourni une expérience qu'il ne faudrait jamais laisser se renouveler. » [7]

Pour la majorité des experts le but du paragraphe 3 de la Déclaration universelle était clairement de se prémunir contre « l'éventualité d'une ingérence de l'Etat dans le domaine de l'éducation » [8]. Cet article vise donc à limiter le pouvoir de l'Etat dans ce domaine et à empêcher le monopole éducatif.


1.3. Le sens de l'expression « lorsqu'elles sont admises par l'Etat »

L'expression « lorsqu'elles sont admises par l'Etat », par laquelle commence l'article 2, pourrait choquer un lecteur non averti car elle semble remettre en question le contenu même des articles 2 et 5. En effet, que signifie cette admission par l'Etat ?  Cela veut-il dire que l'Etat peut déterminer par exemple que les écoles des minorités sont discriminatoires ? L'Etat peut-il aussi estimer que les écoles séparés pour des filles le sont également ?

Manifestement cette première phrase de l'article 2 ne peut être comprise ainsi. Il faut penser plutôt que cette phrase a été introduite pour sauvegarder la souveraineté des Etats, c'est-à-dire pour que l'on ne puisse pas interpréter le texte de la CLDE comme rendant obligatoire l'existence dans les Etats d'établissements séparés ou pour obliger les Etats à promouvoir la création d'établissements privés. Il faut noter, cependant, que CLDE elle-même (art. 5, al. 1.b) et le  Pacte des droits économiques, sociaux et culturels, demandent expressément l'existence d' « établissements autres que ceux des pouvoirs publics » (art. 13. al. 3) [9].


2. La CLDE à la lumière du développement du droit international des droits de l'homme

Les droits de l'homme ne sont pas des droits figés, il connaissent une évolution dont témoigne la prise en compte des droits de minorités commenous l'avons déjà souligné.

On sait, par ailleurs, que pour comprendre correctement un texte juridique, il ne suffit pas de se contenter de son sens au moment de l'élaboration du texte, il faut aussi s'interroger sur sa place actuelle par rapport aux autres textes normatifs. De même qu'un mot dans une langue ne conserve pas intact le sens qu'il avait au moment de son apparition, mais modifie et enrichit sa signification selon l'évolution de la société, ainsi la portée d'un texte de loi dépend-t-elle aussi du contexte dans lequel il s'inscrit. C'est particulièrement vrai pour la CLDE, car elle est relativement ancienne.

C'est pourquoi, dans la suite de cet article, nous mettrons la CLDE en lien avec d'autres textes internationaux qui nous permettront de mieux la cerner. Nous étudierons la Convention 169 de l'OIT, la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités, la Convention sur les travailleurs migrants et surtout l'Observation générale à l'article 13 du Pacte du Comité [10].


2.1. La Convention 169 de l'OIT

Rappelons que le paragraphe 5c) de la CLDE précise :

Qu'il importe de reconnaître aux membres des minorités nationales le droit d'exercer des activités éducatives qui leur soient propres, y compris la gestion d'écoles et, selon la politique de chaque Etat en matière d'éducation, l'emploi ou l'enseignement de leur propre langue [...].

Ce paragraphe peut être mieux compris à la lumière de la Convention 169 concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants de l'Organisation internationale du travail (OIT) (1989).



Article 27

3. [...] les gouvernements doivent reconnaître le droit de ces peuples de créer leurs propres institutions et moyens d'éducation, à condition que ces institutions répondent aux normes minimales établies par l'autorité compétente en consultation avec ces peuples. Des ressources appropriées doivent leur être fournies à cette fin.

Précisons d'abord que ce texte concerne un groupe plus vaste de personnes que l'article de la Convention cité ci-dessus parce qu'il s'applique aux peuples autochtones - qui sont majoritaires dans certains pays - et non seulement aux minorités nationales.

On remarquera que ce texte, contrairement à la CLDE, exige une action positive de l'Etat. L'Etat ne doit pas se contenter de « reconnaître le droit d'exercer des activités éducatives », mais doit aussi fournir des ressources pour que les peuples puissent exercer ce droit.


2.2. La Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités

La Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques (1992), contrairement à l'article 5 de la CLDE et comme la Convention 169, envisage également une action positive de l'Etat, en particulier pour ce qui concerne le droit des minorités d'exprimer leur culture :


Article 4

2. Les Etats prennent des mesures pour créer des conditions propres à permettre aux personnes appartenant à des minorités d'exprimer leurs propres particularités et de développer leur culture, leur langue, leurs traditions et leurs coutumes, sauf dans le cas de pratiques spécifiques qui constituent une infraction à la législation nationale et sont contraires aux normes internationales.

En ce qui concerne des activités plus spécifiquement éducatives telles que l'apprentissage de la langue maternelle (al. 3) ou la transmission de la culture (al. 4), la déclaration exprime la convenance d'une action positive de l'Etat, sans la rendre obligatoire. C'est ainsi que à l'alinéa 3 de l'article 4, l'obligation de l'Etat de donner la possibilité aux membres des minorités d'apprendre leur langue maternelle est relativisée par l'expression « dans la mesure du possible » :


Article 4

3. Les Etats devraient prendre des mesures appropriées pour que, dans la mesure du possible, les personnes appartenant à des minorités aient la possibilité d'apprendre leur langue maternelle ou de recevoir une instruction dans leur langue maternelle.

A l'alinéa 4, l'obligation de l'Etat d'adapter l'éducation « afin d'encourager la connaissance de l'histoire, des traditions, de la langue et de la culture des minorités » est encore davantage relativisée par l'expression « le cas échéant » :



Article 4

4. Les Etats devraient, le cas échéant, prendre des mesures dans le domaine de l'éducation afin d'encourager la connaissance de l'histoire,des traditions, de la langue et de la culture des minorités qui vivent sur leurs territoires. Les personnes appartenant à des minorités devraient avoir la possibilité d'apprendre à connaître la société dans son ensemble.

Cependant, on remarquera que, malgré cette relativisation des obligations de l'Etat, l'idée d'une action positive de l'Etat demeure présente dans cette Déclaration, alors que cette exigence semble absente de la CLDE. En effet, la Déclaration fait dépendre l'obligation directement de l'Etat - « les Etats prennent des mesures » (art. 4, al. 2), « les Etats devraient » (art. 4, al. 3 et 4) -, tandis que dans la CLDE, les Etats ne s'engagent qu'à reconnaître l'importance « de respecter la liberté des parents » (art. 5. b). Ils  conviennent également « qu'il importe de reconnaître aux membres des minorités nationales le droit d'exercer des activités qui leur soient propres »
(art. 5 c).

Le remplacement de la tournure impersonnelle de la CLDE « les Etats conviennent qu'il importe » par des expressions selon lesquelles l'Etat est le sujet de l'obligation - les Etats devraient (art. 4, al. 3 et 4 de la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités), les gouvernements doivent (Convention 169 de l'OIT) – témoignent clairement de l'évolution du droit international des droits de l'homme : les textes cités à la suite de la CLDE exigent tous un engagement de l'Etat qui va au-delà de la simple reconnaissance. Cette constatation s'applique aussi à la Convention sur la protection des travailleurs migrants que nous commentons ci-après.


2.3. La Convention sur la protection des travailleurs migrants

En ce qui concerne la création d'écoles séparées pour des raisons linguistiques ou religieuses, il convient de se pencher également sur les droits minorités qui ne sont pas nationales, et concrètement, sur les droits des populations immigrées. Pour ce faire, il est possible de recourir à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, adopté en 1990  [11] et entrée en vigueur en 2003.

Dans les pays riches en particulier, c'est actuellement le principal défi auquel sont confrontés les gouvernements dans le domaine de l'éducation, car les immigrants constituent de fait les communautés les plus nombreuses à scolariser. Là aussi le texte exige une action positive de l'Etat pour l'apprentissage de la langue maternelle et de la culture.


Article 45.

3. Les Etats d'emploi s'efforcent de faciliter l'enseignement aux enfants des travailleurs migrants de leur langue maternelle et de leur culture [...].

A l'article 31, l'action positive de l'Etat est envisagée comme une possibilité :

1. Les Etats parties assurent le respect de l'identité culturelle des travailleurs migrants et des membres de leur famille et ne les empêchent pas de maintenir leurs liens culturels avec leur Etat d'origine.

2. Les Etats parties peuvent prendre des mesures appropriées pour soutenir et encourager les efforts à cet égard.



On remarquera, cependant, que, contrairement à la Convention de l'OIT, le texte se contente de suggérer ce qu'il faudrait faire. Tout comme dans la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités, on évite ainsi d'obliger des Etats, qui peut-être ont peu de ressources, à une action positive dans ce domaine. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre la formulation de l'art. 45. 3. « les Etats d'emploi s'efforcent de faciliter l'enseignement » plutôt que « doivent faciliter », ainsi que l'art. 31. 2 « Les Etats parties peuvent prendredes mesures appropriées » plutôt que « doivent prendre des mesures appropriées ».


2.4. L'observation générale 13 sur le droit à l'éducation

Dans le cadre de l'évolution du droit international des droits de l'homme, l'Observation générale 13 sur le droit à l'éducation du Comité des droits économiques, sociaux et culturelles est de singulière importance. Cette observation adoptée en 1999 est essentielle pour prendre la juste mesure des droits éducatifs, puisque, comme l'on sait, le Comité des droits économiques, sociaux et culturelles donne par elle une interprétation autorisée du contenu de l'article 13 du Pacte qui, à ce jour, est le texte le plus complet sur les différents aspects du droit à l'éducation.

L'Observation mentionne quatre caractéristiques interdépendantes et essentielles que devrait présenter tout enseignement : dotation, accessibilité, acceptabilité, adaptabilité. La dotation (availability en anglais) concerne le nombre d'établissements et d'enseignants, le matériel pédagogique, les équipements nécessaires pour que tout le monde ait accès à l'éducation dans un Etat. L'accessibilité revêt trois dimensions. Elle se réfère à l'accès de tous en droit à l'éducation (non-discrimination), à la possibilité physique de se rendre sur le lieu de l'enseignement et à la possibilité économique.

Les deux caractéristiques restantes, l'acceptabilité et l'adaptabilité, sont particulièrement importantes pour fonder le droit des établissements séparés, et c'est pourquoi nous en traiterons plus en détail.



2.3.1. L'acceptabilité

Paragraphe 2 [...]

6. c) Acceptabilité - la forme et le contenu de l'enseignement, y compris les programmes scolaires et les méthodes pédagogiques, doivent être acceptables (par exemple, pertinents, culturellement appropriés et de bonne qualité) pour les étudiants et, selon que de besoin, les parents - sous réserve des objectifs auxquels doit viser l'éducation, tels qu'ils sont énumérés au paragraphe 1 de l'article 13, et des normes minimales en matière d'éducation qui peuvent être approuvées par l'État [...];

En ce qui concerne les systèmes d'enseignement séparé, pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique, l'acceptabilité suppose un équilibre entre l'apprentissage de deux cultures : la culture de la communauté et la culture de l'ensemble de la collectivité. Cette double condition se reflète dans les alinéas 5 c) et 5 c) i) de la CLDE.

c) Qu'il importe de reconnaître aux membres des minorités nationales le droit d'exercer des activités éducatives qui leur soient propres, y compris la gestion d'écoles et, selon la politique de chaque Etat en matière d'éducation, l'emploi ou l'enseignement de leur propre langue, à condition toutefois:

i) Que ce droit ne soit pas exercé d'une manière qui empêche les membres des minorités de comprendre la culture et la langue de l'ensemble de la collectivité et de prendre part à ses activités, ou qui compromette la souveraineté nationale;


2.3.2. L'adaptabilité

Paragraphe 2

6 d) Adaptabilité - L'enseignement doit être souple de manière à pouvoir être adapté aux besoins de sociétés et de communautés en mutation, tout comme aux besoins des étudiants dans leur propre cadre social et culturel.

Acceptabilité et adaptabilité ne paraissent nvisageables sans une action positive de l'Etat, soit par la mise en place de structures adéquates, plurielles et diversifiées, soit par l'appui financier aux initiatives émanant des communautés elles-mêmes ou aux initiatives privées.

Cependant cette dernière option semble écartée dans l'Observation par le paragraphe 54 selon lequel les Etats ne sont pas obligés à ce type de financement :

Les États parties n'ont nullement l'obligation de financer des établissements créés en vertu des paragraphes 3 et 4 de l'article 13 [c'est-à-dire les écoles différentes de celles créées par les autorités], mais si un Etat choisit de verser une subvention à des établissements d'enseignement privés, il doit le faire sur une base non discriminatoire.

A la lecture du paragraphe 54 de l'Observation générale, il semble que le Comité sépare les deux aspects du droit à l'éducation : droit-liberté et droit-créance de manière trop radicale. En effet, les libertés des parents et des créateurs d'écoles privées considérées par l'article 13
du Pacte, ce que l'on appelle communément « liberté d'enseignement », y semblent considérées comme de pures libertés au sens traditionnel du terme, dans le sens qu'elles n'impliquent aucune action positive de l'Etat.

Il est vrai que cet aspect du droit à l'éducation apparaît dans l'article 18 al. 4 du Pacte des droits civils et politiques :

 Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

Cependant, cette différence de traitement entre droit civils et politiques et droit économiques, sociaux et culturels, qui consiste à considérer les premier comme des libertés qu'il suffit d'accorder et les seconds comme des prestations à fournir, n'est plus recevable aujourd'hui. En effet la Déclaration de Vienne de 1993 a réaffirmé sans ambiguïté l'interdépendance et indivisibilité de tous les droits de la personne humaine :

I. 5. Tous les droits de l'homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l'homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d'égalité et en leur accordant la même importance. S'il convient de ne pas perdre de vue l'importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des Etats, quel qu'en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales.

Cela signifie qu'il n'est pas possible de traiter une partie du droit à l'éducation comme droit-liberté et une autre comme droit-prestation, puisqu'ils forment un tout. La phrase de la Déclaration de Vienne « Il est du devoir des Etats [...] de promouvoir et de protéger tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales » s'applique parfaitement à la problématique en question. L'éducation en tant que liberté fondamentale (droit civil et politique) doit être non seulement protégée, mais aussi promue, c'est-à-dire qu'elle doit faire l'objet d'une action positive de l'Etat.

Au vu de l'évolution du droit et des textes cités ici en particulier, il semble que l'Etat doive garantir les libertés par une mise à disposition de ressources. Cette idée est exprimée de manière particulièrement claire dans l'article 27, alinéa 3, de la Convention 169 de l'OIT, cité précédemment.


3. Promouvoir le pluralisme, source de richesse, plutôt que le réduire. Les réticences des Etats à mettre à disposition des ressources visant à financer les systèmes d'enseignement séparé voilent sans doute un préjugé : le pluralisme se considère comme une source de tension et de conflit, plutôt que comme une richesse.  Dans un document qui fait référence directe au thème qui nous occupe, M. Mehedi, alors expert de la Sous-Commission des droits de l'homme a affirmé [12] :

[...]nous sommes ici dans une vision du monde où le pluralisme est regardé comme conflictuel. Il serait nécessaire d'aller un peu plus en avant et aborder une vision plus positive de la diversité qui constitue une richesse.
(Mehedi,1999, par. 11)

S'il en est ainsi, il est compréhensible que les Etats n'envisagent pas de financer les systèmes d'enseignement créés par des minorités, mais essaient de réduire la diversité en contrôlant tout l'enseignement.

Mais comme le souligne Mehedi, le fait que les Etats ne s'engagent pas au soutien financier des écoles des minorités, revient à rendre très difficile, sinon impossible, l'exercice de cette liberté pour les minorités:

Malheureusement, les textes ne garantissent pas suffisamment la préservation de cette [l']identité [des minorités], car les Etats ne se sont pas engagés à soutenir financièrement les écoles des minorités. Il y a là une omission qui peut rendre impossible l'exercice du droit.
(Mehedi, 1999, par. 20)

Cette attitude semble en porte-à-faux avec l'évolution du droit qui considère que la diversité est garante de cohésion sociale. La déclaration de l'Unesco sur la diversité culturelle est la plus explicite à cet égard :


Article 2

Dans nos sociétés de plus en plus diversifiées, il est indispensable d'assurer une interaction harmonieuse et un vouloir vivre ensemble de personnes et de groupes aux identités culturelles à la fois plurielles, variées et dynamiques. Des politiques favorisant l'inclusion et la participation de tous les citoyens sont garantes de la cohésion sociale, de la vitalité de la société civile et de la paix.

En réalité, ce n'est pas la diversité qui en elle-même génère des conflits, mais la manière selon laquelle elle est gérée. Si la culture constitue la manière d'être de l'être humain, il est compréhensible que ceux qui ne se sentent pas respectés dans ce domaine se rebellent contre ce que les autorités tentent de leur imposer. On touche là à une question si fondamentale et si intime à la personne qu'elle est au-delà de la loi positive d'un Etat. On ne peut exiger obéissance à des personnes qui sont blessées dans ce qui constitue leur identité. Jeanne Hersch l'explique très bien lorsqu'elle parle de la tolérance :

C'est parce que son engagement envers ce qu'il croit vrai peut être absolu qu'il y a violation de l'humain à tenter de lui imposer par la contrainte une conviction différente de la sienne, ou à exiger de lui un comportement opposé. L'absolu de la conviction ou de l'exigence morale dont découle sa conduite exige de l'autre être humain, non une plus grande tiédeur de la conviction ou de l'exigence morale, mais un absolu respect de cette conviction ou de cette exigence différente, même s'il est loin de la partager. Telle est le fondement des droits de l'homme et tel est aussi le fondement de la tolérance vraie qui ne sacrifie rien de la vérité.
(1995, p. 49)

C'est ainsi que, lorsqu'on tente de la réduire, la diversité culturelle ne peut qu'engendrer des conflits. En revanche lorsqu'elle est respectée, elle peut être garante de la cohésion sociale. Il faut toutefois comprendre que, dans ce domaine, le respect n'est pas simplement une acceptation passive de l'autre. Pour revenir à une formulation juridique, il ne suffit pas de donner aux minorités le droit de gérer leurs propres écoles, sans prévoir de mise à disposition de ressources.

Indépendamment du droit international ou du droit en vigueur dans un pays, pourquoi le respect de la culture de l'autre devrait-il impliquer un engagement positif envers lui, que cela soit de la part de l'Etat ou des autres citoyens ? Pourquoi la simple tolérance, c'est-à-dire le fait de laisser l'autre vivre selon sa culture, ne suffirait-elle pas ?

On ne peut se forger une identité selon sa culture que si les autres la reconnaissent, car elle constitue toujours la base de laquelle on part pour s'identifier aux uns ou pour se distinguer des autres, et ainsi pour se définir soi-même. Comme l'exprime très bien Taylor ci-dessous, la culture ne peut se former en vase clos, mais seulement par un dialogue avec ceux qui la partagent et avec ceux qui s'en distinguent :

Paradoxalement, je ne peux m'affirmer sans qu'un autre me reconnaisse cette capacité. Ainsi la d&eacu