ECKERT, Henri; FAURE, Sylvia: Les jeunes et l'agencement des sexes

[Le Monde, 14.09.07]

Un compte rendu publié par Le Monde de ce soir, sur un livre constatant que la mixité ne fait qu'accentuer les stéréotypes hommes-femmes.

Depuis l'entre-deux-guerres, les inégalités hommes-femmes qui étaient inscrites dans le droit ont peu à peu disparu : les femmes mariées ne sont plus frappées d'incapacité civile depuis 1938, elles peuvent voter depuis 1944 et ont obtenu l'égalité dans le mariage au fil des années 1960 et 1970.

"Mais l'égalité juridique formelle ne parvient toujours pas à défaire les discriminations dont les femmes continuent d'être victimes, dans leurs cursus scolaires comme dans le recrutement et l'emploi, dans le déroulement de leurs carrières professionnelles comme dans les disparités de salaire à travail égal, dans l'accès aux fonctions politiques comme dans la vie publique en général,"

constatent Henri Eckert et Sylvia Faure dans Les Jeunes et l'agencement des sexes.

Pour venir à bout de ces inégalités, beaucoup ont parié sur les effets positifs de la mixité. C'est en mélangeant filles et garçons dans les mêmes classes que l'éducation nationale espérait garantir l'égalité des chances. C'est en s'ouvrant aux femmes, à partir des années 1960, que le monde de l'entreprise comptait mettre fin aux inégalités professionnelles. C'est en acceptant l'idée de parité, en 2000, que la classe politique pensait faire évoluer la culture parfois machiste des élus. Ce pari a-t-il réussi ? La mixité a-t-elle ouvert la voie à l'égalité ? La présence, dans un même lieu, de femmes et d'hommes suffit-elle à éroder jour après jour les stéréotypes sexistes ? C'est la question que pose Les Jeunes et l'agencement des sexes.

Pour répondre à ces interrogations, les auteurs de cet ouvrage collectif se sont intéressés au système de relations entre filles et garçons. Ils ont pour cela exploré la pratique du hip-hop, analysé la lecture "sexuée" du Seigneur des anneaux, interrogé de jeunes footballeuses qui se sont aventurées en territoire masculin ou étudié les échanges qui rythment les "chats" entre adolescents. A l'école, dans la rue, au cours de leurs loisirs, ces jeunes vivent en effet dans un monde où la mixité est souvent la règle, ce qui n'était pas le cas de leurs parents. Les valeurs qu'ils véhiculent sont-elles pour autant très différentes ?

Dans les univers étudiés, les codes traditionnels du masculin et du féminin restent souvent très prégnants. Sylvia Faure montre ainsi que, dans le hip-hop, les garçons se tournent volontiers vers la compétition, conformément au modèle classique de leur sexe - force physique et affirmation de soi - alors que les filles préfèrent le hip-hop "de création", qui correspond aux valeurs féminines d'esthétisme et de discrétion. Selon Cécile Metton, ces stéréotypes sont plus marqués encore dans les "chats", où les adolescents adoptent, dans leurs pseudos comme dans leurs échanges, les représentations traditionnelles de la femme fatale - "la Lionne du 71", "Tigress 31" - et du mâle viril - "Bomec", "Bogoss".

Dans le monde du travail, les stéréotypes sont parfois tellement forts que la mixité se transforme en épreuve : Thomas Couppié et Dominique Epiphane expliquent ainsi que les femmes qui choisissent d'investir les métiers traditionnellement "masculins" sont souvent en grande difficulté. Mais toutes ces contributions montrent malgré tout que les jeunes jouent avec les codes traditionnels du masculin et du féminin avec une certaine liberté, arrangeant et réarrangeant constamment les modèles sociaux. "Si les situations de mixité n'effacent pas les frontières entre les sexes, elles favorisent l'apprentissage d'un "vivre ensemble", concluent Henri Eckert et Sylvia Faure. Cadres puissants de la socialisation sexuée, ces situations de mixité conduisent à légitimer les frontières et les différences de sexe, mais favorisent en même temps la confrontation des unes et des autres et suggèrent ainsi de dépasser les clivages."

 

 

ECKERT, Henri; FAURE, Sylvia: Les jeunes et l'agencement des sexes. Paris, La Dispute, coll. « Le genre du monde », 2007.