Ne faisons pas de la mixité un absolu [FR] [2003]

Dominique Schnapper [L'Express du 28/08/2003] 

Propos recueillis par Claire Chartier. Dominique Schnapper est membre du conseil constitutionnel et directrice de recherche à l'école des hautes études en sciences sociales.

«Ne faisons pas de la mixité un absolu. Historiquement, la cohabitation scolaire des filles et des garçons n'est pas du tout un principe républicain. Le principal argument de ses partisans consiste à dire que l'école doit mélanger filles et garçons, parce que la société elle-même est composée de femmes et d'hommes. Mais, dans la conception de la République, l'espace public ne représente pas la société civile, inégale par essence. Au contraire, il se bâtit en opposition à elle. L'école doit donc être un lieu protégé, et transcender la société par son aspect impersonnel et formel. En cela, la mixité marque donc plutôt un affaiblissement de l'idée républicaine. Dans les années 1960, elle avait pour objectif idéologique de lutter contre les inégalités entre les sexes, tout comme le collège unique, instauré à la même époque, avait pour objectif de lutter contre les inégalités sociales. Aujourd'hui, on se rend compte qu'il ne suffit pas de mélanger garçons et filles pour résoudre les problèmes relationnels entre les deux sexes!

La poussée de la démocratie participative rend inconcevable tout retour en arrière, mais l'hypothèse des classes séparées optionnelles au collège ne me choque pas. Toute distinction n'est pas, en tant que telle, discriminatoire! Les chefs d'établissement devraient pouvoir séparer de temps à autre les filles et les garçons s'ils jugent cette mesure bénéfique. Seulement, c'est à eux seuls d'en décider, et non au ministère de l'Education nationale, qui n'est pas à même d'évaluer la situation dans chaque établissement.

Cela étant, on ne peut négliger le contexte politique actuel. Des classes et des enseignements séparés font partie des revendications islamistes. Les fondamentalistes musulmans pourraient profiter d'une interprétation plus souple de la mixité pour réclamer un enseignement spécifique en faveur des jeunes filles musulmanes. Le risque politique est trop grand pour qu'un gouvernement envisage même de revenir sur le principe général de la mixité.»