La mixité à l'école n'est pas un dogme [FR] [2003]

[Construire No. 43, 21-10-2003] Le sociologue Michel Fize brise un tabou. Il prône l'ouverture de classes séparées, pour répondre à des situations d'urgence et mieux défendre le principe d'égalité entre les sexes.

 

Faut-il séparer garçons et filles à l'école? La question agite les esprits depuis la parution en France du livre du sociologue et chercheur Michel Fize. Les thèses de ce spécialiste de la famille et de la jeunesse suspecté de vouloir revenir en arrière en préconisant la fin de la mixité scolaire ont même suscité un véritable tollé. S'il dénonce ce qu'il appelle le dogme de la mixité, Michel Fize ne remet pourtant pas fondamentalement en cause les principes de la coéducation. Il dit simplement que, dans des circonstances particulières, violences sexistes, différences de maturité entre filles et garçons, des classes séparées permettraient à chaque sexe de mieux s'épanouir et de mieux réussir scolairement.

-Votre ouvrage a suscité des réactions parfois très vives en France. On vous a accusé de vouloir réintroduire des écoles séparées pour garçons et filles.

-Ces réactions m'ont surpris. Je ne m'attendais pas à un tel déchaînement médiatique. Mais elles confirment aussi que l'on se trouve avec la mixité face à une sorte de tabou, de dogme presque intouchable, comme si le fait de la remettre en question relevait du crime de lèse-majesté scolaire.

»Le problème, c'est qu'elle a été généralisée il y a trente ou quarante ans sans avoir été suffisamment pensée et réfléchie. On a cru qu'elle allait naturellement être un facteur d'égalité. Et aujourd'hui, le reproche qui m'est adressé, c'est simplement de l'avoir interrogée, d'avoir cherché à comprendre ses dysfonctionnements.

 

-Comme l'échec des garçons et la violence sexiste à l'égard des filles?

-Le débat sur la question est effectivement né de ce double constat. Mais la mixité scolaire n'est pas la cause directe de ces phénomènes.

 

-Comment expliquer alors cette meilleure réussite des filles par rapport aux garçons?

-Les filles sont plus adaptables à l'école et elles ont aussi davantage conscience des enjeux de la réussite. Mais elles réussiraient tout aussi bien, si ce n'est mieux sans doute, dans des classes séparées.

»Pour les garçons, leur échec vient, quel que soit le système, essentiellement du fait qu'ils sont très éloignés du monde scolaire, de ses règles. Ils vivent à l'extérieur dans un monde de sons et d'images, dans une culture tellement différente que l'école produit pour eux de l'ennui et de la démotivation.

 

-Et les violences sexistes à l'égard des filles?

-La mixité donne l'occasion à certains garçons de commettre des exactions. Mais elle n'est pas à l'origine de la violence scolaire. Si on mettait des garçons entre eux, ils s'agresseraient entre eux. Ce n'est pas le rapport entre garçons et filles qui est en cause, c'est le rapport du fort au faible.

 

-Reste que l'école mixte, comme vous le rappelez dans votre livre, a en partie échoué. L'égalité des sexes n'est toujours pas assurée dans la société.

-La mixité ne supprime pas l'intolérance et les discriminations. Mais ce n'est pas une raison pour y renoncer et revenir aux classes séparées. Le problème, c'est que la coéducation n'est pas productrice par définition d'égalité. Elle ne s'épanouit pas d'elle-même. Elle doit être pensée, construite et enrichie.

»Il ne suffit pas pour lui donner sens et consistance de mettre garçons et filles côte à côte. Il faut encore les faire coexister pacifiquement et, mieux, leur apprendre à vivre ensemble dans le respect mutuel et la tolérance. Je ne réclame donc pas moins de mixité, mais une meilleure mixité.

»Et à l'école primaire, il en faudrait davantage. On ne peut pas prôner le mélange des garçons et des filles dans les classes et laisser perdurer une séparation stricte dans les cours de récréation.

 

-Vous proposez néanmoins la création de classes non mixtes au collège, c'est-à-dire dans les cycles d'orientation chez nous.

-La mixité n'est pas un principe intangible. C'est un outil qui peut être réaménagé pour atteindre des objectifs éducatifs particuliers: l'égalité des chances pour tous et la réussite pour chacun.

»L'idée est d'ouvrir une ou deux, voire trois salles de classe séparées dans un établissement qui reste mixte. On n'y accueillerait que des volontaires. Il ne s'agit pas de créer des ghettos, ni de porter atteinte à l'égalité des sexes. Au contraire, puisque l'on permettrait ainsi aux garçons et aux filles de mieux s'épanouir personnellement et de mieux réussir scolairement.

 

-Et à qui s'adresseraient ces classes séparées?

-Je vois essentiellement deux cas de figure qui pourraient autoriser une demande de mise en séparation volontaire. Tout d'abord des filles et des garçons qui entrent au collège, c'est-à-dire vers 11 ou 12 ans, dans des statuts de puberté et de maturité différents. A cet âge, les filles sont plus grandes, verbalisent mieux, ont de meilleurs résultats scolaires. Ce qui peut avoir pour effet d'écraser un peu certains garçons qui réussissent moins bien parce qu'ils souffrent de cette cohabitation.

»Le deuxième cas, sans doute plus fréquent, nous renvoie à la violence. Il touche notamment toutes ces jeunes filles qui sont victimes de harcèlement, de menaces et d'agressions de toutes sortes et qui n'en peuvent plus.

 

-Pourquoi des classes non mixtes au collège et pas à l'école primaire ou au lycée?

-Parce que c'est le «maillon faible» du dispositif scolaire et le plus dur pour les enseignants. Toutes les difficultés s'y conjuguent: puberté, fort écart de maturité entre garçons et filles, violences et échecs scolaires.

»Mais des aménagements de la mixité pourraient également être envisagés dans l'enseignement professionnel, de manière à permettre aux filles de s'inscrire dans des sections que la tradition réserve aux garçons. Certains mélanges disciplinaires sont également problématiques, comme l'éducation physique et les activités sportives en général ou l'éducation sexuelle. Là aussi, un enseignement séparé pourrait avoir des effets positifs.

 

-Il y aurait donc des séparations de progrès, des discriminations positives?

-Oui, j'en suis convaincu, même si cela peut paraître rétrograde pour certains. Je prends l'exemple de ce lycée de filles créé en 1996 dans le quartier de Harlem à New York. Un établissement ouvert non pas pour mettre les écolières à l'écart ou leur donner un enseignement inférieur à celui des garçons, mais pour les protéger et leur permettre de mieux réussir.

 

-Et les écoles pour jeunes homosexuels, à l'image de celle qui vient d'ouvrir à New York. N'y a-t-il pas là risque de mise en ghetto?

-Comme il s'agit de volontaires, j'aurais tendance à répondre non. Je ne dis pas pour autant que c'est bien. C'est simplement une manière de tenir compte de certaines réalités.

»En France, on sait que les adolescents homosexuels se suicident entre cinq et sept fois plus que les autres. Il y a des responsabilités familiales dans ces drames, des réactions très dures des pères notamment. Mais il y a aussi des situations scolaires qui sont préjudiciables à ces adolescents, des règlements de comptes, des agressions physiques et verbales. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas offrir aux jeunes homosexuels qui le souhaitent un espace où ils se sentent davantage à l'aise?

 

-Mais cette affirmation de la différence ne peut-elle pas donner lieu à des dérives identitaires. En France, on a évoqué le risque de voir se créer ainsi des classes pour filles voilées.

-Mais ce n'est pas du tout mon propos. Je suis très clair à ce sujet. Une différence culturelle et religieuse n'est pas, pour moi, un bon argument pour s'écarter de la mixité scolaire. Pas question donc d'autoriser des jeunes filles, parce qu'elles sont voilées, à se réunir dans des classes séparées.

 

-Vos détracteurs, le ministre français de l'Education en tête, vous reprochent d'apporter de fausses solutions à de vrais problèmes de société.

-On peut bien sûr, comme le préconise Luc Ferry, apprendre aux jeunes la tolérance et le respect des valeurs. Je suis même entièrement d'accord avec lui. Mais il faut être réaliste. Les mentalités ne changent pas du jour au lendemain. Et la société ne va pas devenir d'un coup moins machiste et moins violente.

»Mes propositions visent à répondre à des situations d'urgence. Il y a des élèves qui souffrent, qui n'en peuvent plus, qui vont entrer en dépression, qui vont peut-être faire une tentative de suicide. Que peut-on faire pour eux maintenant, tout de suite? Voilà la question qui se pose. Rétablir certaines classes non mixtes pour permettre à des élèves de travailler dans un climat plus serein est une réponse ponctuelle et provisoire à cette interrogation. Il ne s'agit évidemment pas d'une panacée, mais d'une solution qui a l'avantage de répondre au principe de précaution et de préservation.

 

-S'il s'agit là d'une solution ponctuelle, que proposez-vous à plus long terme?

-De réactiver l'apprentissage des valeurs dès le plus jeune âge, mais aussi de réactiver le véritable combat, un peu dissimulé par le débat sur la mixité, qui est celui pour l'égalité réelle des chances entre les sexes dans la vie professionnelle. Si mon livre dérange tellement, c'est sans doute aussi parce qu'il montre clairement que ce combat n'est toujours pas gagné.

 

-Ce dont la mixité scolaire n'est pas forcément responsable.

-Bien sûr. Mais c'est elle qui règne et c'est donc elle l'accusée. Pour se prévaloir d'une supériorité sur l'autre système, la mixité scolaire ne devrait pas se contenter de l'égalité des chances, elle devrait viser à l'égalité des réussites.

 

Propos recueillis par Marie-Jeanne Krill

 

 

SIGNES PARTICULIERS

Nom: Michel Fize.

Né: le 1er janvier 1951 à Levallois dans la banlieue parisienne.

Famille: un fils de 24 ans.

Formation et carrière: sociologue et chercheur au CNRS, il a notamment participé au travail sur la grande consultation des jeunes, décidée par Edouard Balladur en 1994. Il a aussi été conseiller auprès du Ministère français de la Jeunesse et des Sports de 1997 à 1998. Spécialiste des questions concernant la famille et la jeunesse, il a publié de nombreux ouvrages, dont «Adolescence en crise?» (Hachette, 1998), «A mort la famille! plaidoyer pour l'enfant» (Erès, 2000) et «Le deuxième homme» (Presses de la Renaissance, 2001).

A lire: «Les pièges de la mixité scolaire», Presses de la Renaissance, Paris, 2003.

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