New York: éducation séparée pour défavorisées [US] [2003]

Depuis 1996, un lycée de Harlem promeut la séparation des sexes afin d'obtenir de meilleurs résultats pour les femmes [Liberation, jeudi 18 septembre 2003]

 

Par Fabrice ROUSSELOT

New York de notre correspondant

De prime abord, difficile de se croire dans une école publique d'East Harlem. La Young Women's Leadership School (YWLS) occupe les cinq derniers étages d'un immeuble de la 106e rue. Ici, on sort de l'ascenseur pour découvrir des couloirs immaculés et des salles de classe équipées d'ordinateurs. Pas de portails électroniques pour contrôler d'éventuelles armes cachées dans les cartables et sur les murs, une bannière donne le ton: «Essayer toujours de donner votre maximum.»

Délicat. «Nous offrons à toutes ces jeunes filles un environnement dans lequel elles peuvent s'épanouir et apprendre en toute sérénité», assure la directrice, Kathleen Ponze. «C'est important parce qu'elles sont à un âge délicat et qu'en dehors de ces murs elles ont des existences qui, souvent, ne sont pas faciles.» Depuis 1996, la Young Women's Leadership School, collège-lycée qui assure six ans d'éducation aux adolescentes de Harlem et du Bronx pour les mener jusqu'à l'université, est la seule école publique pour filles de New York. L'idée émane d'Ann Tisch, ex-journaliste de télévision mariée à Andrew Tisch, l'héritier de l'empire hôtelier Loews Corp., qui a choisi de tenter l'expérience d'une école non mixte dans l'un des districts scolaires les plus défavorisés de la ville. «Au départ, nous voulons donner une chance à toutes ces filles, poursuit Kathleen Ponze, près de 70 % de nos élèves vivent en dessous du seuil de pauvreté, elles sont souvent issues de familles monoparentales ou vivent avec leurs tantes ou leurs grands-mères. Elles évoluent dans un milieu où les filles sont dominées par les garçons. Dans les écoles, les problèmes d'intimidation, de violence ou de harcèlement sexuel sont constants. Les garçons sont ceux qui mènent la danse et font la loi dans les classes. Les filles sont intimidées et se laissent faire. Ici, cette pression n'existe pas. Les élèves peuvent se concentrer sur leurs études.»

En huit ans, la Young Women's Leadership School s'est taillé la réputation de l'une des meilleures écoles de New York, servant d'exemple à de nombreuses études affirmant que l'éducation «séparée» produit de meilleurs résultats scolaires. L'année dernière par exemple, 96 % des élèves ont intégré l'université, 93,8 % des étudiantes ont obtenu leur diplôme en quatre ans, contre 50 % en moyenne à New York.

Malgré cela, la YWLS n'échappe pas à la controverse. Lors de sa création en 1996, l'Aclu, le syndicat pour les libertés civiles, et Now, la plus importante organisation féministe, ont déposé une plainte administrative auprès du ministère de l'Education, sur la légalité de l'affaire, arguant de «discrimination par le sexe». A ce jour, le ministère n'a pas tranché. «Mais notre position n'a pas changé», dit Chris Dunn, un avocat auprès de l'Aclu, «le sexe d'un élève ne doit pas être utilisé comme un critère lui permettant de bénéficier ou non d'avantages. Ce n'est pas la fonction de l'école publique. D'autant que la Young Women's Leadership School bénéficie de ressources financières que les autres écoles n'ont pas, grâce à des fonds privés.»

«Vers le passé». Si la YWLS est directement gérée par le département de l'éducation de la ville de New York, qui couvre toutes les dépenses liées aux classes, aux manuels scolaires ou encore aux salaires des professeurs, l'école profite également de la Young Women's Leadership Foundation, présidée par Ann Tisch, qui s'est donné pour mission de trouver des partenaires afin de développer des programmes extrascolaires ou même de payer un conseiller pour l'entrée à l'université.

Le débat autour de la «non-mixité» de l'école a pris une tournure nationale avec l'arrivée de Bush au pouvoir. Dans le cadre d'un décret voté par le Congrès en 2001 et baptisé le No Child Left Behind Act, le gouvernement a permis l'allocation de fonds fédéraux aux localités désirant lancer des programmes de classes de filles ou de garçons. Le ministre de l'Education a même demandé l'année dernière aux parents et aux écoles de réfléchir aux bénéfices d'une éducation non mixte, afin de décider ou non d'en favoriser le développement. Cela a aussitôt provoqué des remous chez certains démocrates estimant que «l'on se tournait vers le passé» et que l'on prônait «le retour à la différence, raciale ou sexuelle». La polémique a rebondi au printemps 2002, quand Hillary Clinton, sénatrice démocrate de New York, a fait les louanges de la YWLS. L'ex-First Lady a vanté les bénéfices des écoles séparées dans les banlieues difficiles, assurant qu'elles permettaient d'«éliminer un climat de violence». Et la sénatrice, pourtant proche des milieux féministes, de lancer «qu'il fallait pouvoir considérer toutes les options au sein de l'école publique».

«C'est ce que nous disons, renchérit Maureen Grogan, directrice de la Young Women's Leadership Foundation, nous ne prétendons pas que toutes les écoles doivent rassembler des élèves du même sexe, mais les parents doivent avoir le choix.» Pour l'instant, la YWLS ne compte que 380 étudiantes, sélectionnées sur dossier, alors que plus de 2000 demandes ont été déposées. L'an prochain, la fondation veut ouvrir deux écoles dans le Bronx, une de filles et une de garçons. Dans la classe d'histoire, Yin Mary Malena, 16 ans, se sent «bien car les professeurs passent du temps avec chaque élève [...] Et puis, il n'y a pas tous les problèmes avec les garçons, ajoute-t-elle, on n'a pas à se préoccuper de ce qu'ils disent ou de ce qu'ils pensent. On s'est habitué à être entre filles, on travaille mieux. Les garçons, on les voit dans la rue, c'est bien suffisant».