La mixité en question

Auteurs: Marlaine Cacouaul, Laura Lee Downs

 

Il n’y a pas d’égalité sans mélange", écrit Geneviève Fraisse, exprimant ainsi l’opinion commune selon laquelle la mixité scolaire découle du principe démocratique de l’égalité entre citoyens sujets de droit. Depuis les années 1960-1970 la mixité scolaire est un acquis en France. Indicateur clé du progrès social réalisé par rapport au système traditionnel de séparation des sexes, la mixité scolaire est perçue comme le seul garant de l’égalité d’éducation. Elle est une occasion de brassage social comme le souhaitait Condorcet, des idylles se nouant entre garçons et filles en raison d’affinités mutuelles et non sur les injonctions des parents. Mais est-ce que la mixité a réussi sa mission ? Est-ce qu’elle a permis de supprimer toute forme de discrimination entre les sexes ? Ce sont des questions qui se posent depuis vingt ans en Angleterre, aux États-Unis et en Allemagne, trois pays où la décentralisation et l’autonomie régionale des systèmes scolaires permettent une cohabitation des écoles mixtes à côté des écoles non-mixtes. Cette diversité de structures éducatives a donné lieu à des débats entre féministes, les unes prônant l’égalité dans la mixité, les autres préférant garder l’école de filles comme un lieu protégé où les filles

(surtout des adolescentes) peuvent étudier et discuter ensemble sans l’entrave de la domination masculine. Des expériences positives, notamment dans les sciences, ont encouragé quelques retours à la non-mixité se réclamant du souci d’augmenter la confiance des filles en elles-mêmes. Plus récemment, les éducateurs dans les quartiers défavorisés américains prétendent que les garçons souffrent dans les écoles primaires parce que leurs sœurs sont beaucoup plus performantes qu’eux dans leurs études. Ils préconisent donc des écoles de garçons, surtout pour les garçons issus des milieux pauvres.


Or en France, l’idée d’un retour à la non-mixité n’a pas suscité beaucoup d’intérêt avant les années 2000 (ou la fin des années 1990). Quand les Français ont commencé à débattre de la mixité, la discussion tournait moins autour de la réussite (ou non) des filles ou des garçons dans les écoles mixtes qu’autour du problème des violences à l’école. Ainsi, la mixité scolaire est plus souvent remise en cause dans le contexte du débat sur les violences à l’école (en particulier au collège) dans des quartiers dits "sensibles", où les filles font les frais de l’agressivité masculine. Par ailleurs, certaines seraient tentées d’imiter les garçons et d’opprimer à leur tour des camarades de classe. Néanmoins, comme le souligne Catherine Marry, "aucune de ces recherches à ce jour, ne permet d’imputer à la mixité dans les classes, ni à l’émancipation des filles et des femmes dans la société, la cause – en tout cas première – de ces violences et de ces souffrances." "Problèmes" des garçons pauvres aux États-Unis, "problèmes" des violences dans les collèges des zones sensibles – la mixité scolaire ne devient-elle pas un bouc émissaire pour des problèmes sociaux que l’école n’est pas apte à résoudre seule ? Thème médiatique s’il en est quand on procède à des simplifications, la mixité est un objet complexe qui nécessite une approche pluridisciplinaire, tout particulièrement historique et comparative. En effet, les pays où cette disposition a été adoptée le plus tôt (on songe également à l’Italie) ne sont pas ceux où l’égalité professionnelle entre hommes et femmes est la plus avancée.


POUR CITER CET ARTICLE

Marlaine Cacouault-Bitaud et Laura Lee Downs« La mixité en question », Travail, genre et sociétés 1/2004 (N° 11), p. 163-164.